Interview pour le Mag des territoires numériques

Interview pour le Mag des territoires numériques

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Monsieur Santini, votre ville est souvent perçue et citée comme une ville exemplaire en matière de numérique, pouvez-vous nous expliquer la recette de ce succès ?

Il n’y a pas de recette miracle. Pour innover, il faut avoir l’esprit curieux, ouvert et agile.

Lorsque j’ai engagé la ville d’Issy-les-Moulineaux sur la voie de ce qu’on appelle aujourd’hui la transformation numérique, il y a près de vingt-cinq ans, nous avions pour objectifs de renforcer notre attractivité économique, de moderniser nos services municipaux et d’anticiper les nouveaux usages de nos habitants.

Ces objectifs ont été atteints, et même largement dépassés si on regarde la métamorphose urbaine d’Issy-les-Moulineaux, qui compte autant d’emplois que d’habitants, majoritairement dans la filière numérique, dans un contexte de finances locales assainies, et avec un endettement quasi nul.

En affichant clairement, dès le début, notre engagement à faire d’Issy-les-Moulineaux une ville moderne et ouverte à l’innovation, nous avons pu attirer des entreprises aussi prestigieuses que Microsoft, Cisco, Capgemini, bientôt Orange et Eutelsat, mais aussi des fleurons de différents secteurs : Yves Rocher, Coca Cola, Colas, La Poste, Transdev, bientôt Nestlé, et tant d’autres…

La population a augmenté de 25 000 personnes pendant cette période, sans même avoir eu besoin d’augmenter le nombre de fonctionnaires municipaux, grâce à une productivité améliorée à la fois par le numérique et des modes de gestion innovants.

Les habitants d’Issy-les-Moulineaux ont souvent été les premiers à pouvoir tester et à adopter de nouveaux services, des démarches administratives en ligne au vote électronique, en passant par le paiement du stationnement par téléphone mobile, les tableaux numériques à l’école, le Li-Fi (l’Internet par la lumière) au Musée, la fibre optique dans toute la ville, les enceintes connectées ou demain, la 5G, pour laquelle nous sommes ville pilote pour Orange. Aujourd’hui, notre priorité, c’est la lutte contre le changement climatique, et l’innovation est un outil idéal pour agir.

Lorsque nous avons lancé le projet Issy Grid, ce n’est pas seulement pour économiser quelques euros sur nos factures d’électricité. C’est d’abord être pour augmenter la production locale d’énergies renouvelables, via les panneaux photovoltaïques, la géothermie ou l’éolien, et diminuer notre consommation d’énergie fossile.

J’ai en tête une étude du ministère américain de l’énergie qui indiquait que si les technologies de smart grid pouvaient rendre le réseau d’électricité plus efficace de 5%, cela correspondrait en termes de réduction de gaz à effet de serre à la destruction de 53 millions de voitures à essence, à l’échelle des États-Unis.

Lorsque nous lançons des expérimentations dans le domaine de la Smart Mobilité, ce n’est pas seulement pour faire gagner du temps aux automobilistes. C’est d’abord pour diminuer les embouteillages qui causent 6.600 décès prématurés par an sur le territoire de la Métropole du Grand Paris. Quand on sait que 20 à 30 % de la circulation automobile est liée à la recherche d’une place de parking, vous pouvez imaginer l’impact qu’aurait la généralisation à large échelle de capteurs nous guidant rapidement vers des places libres. L’open data, ou le big data, va nous y aider.

Quand il a fallu que les enfants fassent l’école à la maison, j’ai demandé qu’on aide les familles qui n’étaient pas équipées d’ordinateur. Sur les quelques 11 000 élèves que compte la Ville, seuls 36 en ont fait la demande et se sont vous remettre un ordinateur portable. Notre population est connectée, et elle l’est depuis longtemps. Cela nous oblige à être exemplaires dans ce domaine aussi.

Comment avez-vous communiqué pendant la crise sanitaire ? Les outils numériques ont-ils été renforcés ?

Les outils de communication numérique ont été indispensables, évidemment, pour informer la population. Notre expérience dans ce domaine a facilité les choses. Nous devions :

  1. Relayer les informations nationales en temps réel grâce aux supports électroniques (site www.issy.com, réseaux sociaux, Journaux Électroniques d’Information)
  2. Informer des actions mises en œuvre par la Ville en insistant notamment sur les informations pratiques (cartographie des commerces ouverts ou assurant des livraisons, mise en place de la téléconsultation dans nos espaces Santé Simone Veil et Épinettes)
  3. Maintenir le lien avec la population, en proposant, avec l’appui des services municipaux (Petite Enfance, Culture, Clavim notamment) des activités pendant la période de confinement : concours de dessins, de nouvelles, de vidéos, etc. 

L’équipe de communication a été en télétravail mais a pu assurer la fabrication et distribution du journal municipal, avec les précautions sanitaires nécessaires pour les distributeurs, pour contribuer au maintien du lien social entre les Isséens. Les comités éditoriaux du journal ont été organisés à distance, par le biais des outils numériques et téléphoniques. Les reportages et interviews également menés grâce à ces outils et une large part de remontée d’information est assurée par les agents encore mobilisés sur le terrain. La mise en pages quant à elle est souvent réalisée en télétravail par les maquettistes ou les agences prestataires.

Pendant le confinement, les Isséens se sont donc massivement tenus informés en ligne, puisque que nous avons enregistré :  + 60% de visites sur issy.com, +250 % de visiteurs sur notre page Facebook, +200 % d’impressions de nos tweets.

Pouvez-vous nous citer l’une de vos actions fortes, notamment liées à l’open data ?

Pendant le confinement, la création d’outils spécifiques, comme le groupe Facebook « Vos commerçants isséens se mobilisent » (près de 3 200 membres) ou la carte open-data des commerçants ouverts ou qui livrent ont contribué à faciliter la circulation de l’information utile pour la population.

Les commerçants alimentaires, mais aussi ceux des marchés, ont été contraints de s’adapter très vite pour mettre en place des services de livraison à domicile. Pour les faire connaitre, nous avons adapté le jeu de données sur les commerces, disponible sur notre portail data.issy.com en indiquant les informations liées aux livraisons, en coopération avec le service des commerces, qui les a appelés un par un.

Nous avons également lancé une « datavisualisation » le 11 mai, au moment de la réouverture des parcs et jardins. Intitulé « balades.issy.com », ce service met en avant les parcs et jardins, les arbres remarques, les balades pédestres et cyclistes sur la Ville.

Nous travaillons sur l’opendata depuis 2012 et nous essayons de créer des services nouveaux, utiles pour la population. Par exemple, nous avons été récompensés en 2018 par les Trophées de la mobilité en Ile-de-France pour la collecte des données combinées des disponibilités de places de stationnement en voirie et en souterrain et leur mise à disposition sur son portail data.issy.com. Nous publions également, depuis plusieurs années maintenant, un rapport financier en ligne issu des données d’opendata.

Nous sommes à l’aube d’un « nouveau monde » post-COVID19 : c’est déjà le cas à Issy-les-Moulineaux ?

Nous sommes prêts, en tout cas, à poursuivre notre développement sur la voie tracée au cours des dernières années : celle d’une ville moderne, connectée et durable. Nous nous étions fixés, avant la crise du Covid-19, pour ambition d’adapter la Ville au changement climatique et d’innover dans ce domaine. Ce qui s’est passé pendant cette crise nous incite à accélérer le mouvement et à répondre rapidement aux aspirations exprimées pendant le confinement.

Nous devrons en effet amplifier le mouvement amorcé en œuvrant à la mise en place de nouvelles mesures permettant à Issy-les-Moulineaux de figurer parmi les villes françaises les plus ambitieuses dans ce domaine. Nous avons réussi notre transformation numérique, bien avant la plupart des autres. Nous pouvons réussir de la même manière notre transition énergétique grâce aux actions individuelles de chacun et à nos engagements en faveur d’une Ville exemplaire, capable de répondre aux obligations « zéro carbone » dictées par la situation.

Plusieurs initiatives sont envisagées, dont :

  • La mise en place d’un réseau de froid urbain pour remplacer les systèmes polluants de climatisation des entreprises et anticiper la demande des foyers qui risquent de s’équiper au rythme des canicules estivales ;
  • L’utilisation d’énergies renouvelables ou non polluantes (géothermie, hydrogène, récupération de la chaleur des eaux usées, etc.) pour le chauffage ;
  • La végétalisation des cours des écoles pour en faire de véritables ilots de fraicheur ;
  • La création d’un « Fonds de dotation Issy – Agir pour le climat » pour associer les entreprises de la ville aux actions publiques et privées en faveur du climat ;
  • L’adoption, chaque année par le conseil municipal, d’un « Budget CO² », déjà mis en place à Oslo, capitale de la Norvège, pour suivre l’évolution des objectifs de réduction de gaz à effet à serre sur la Ville, via des indicateurs concrets, accessibles en temps réel. Grâce à cette analogie avec le budget financier, les services municipaux devront rendre des comptes tout au long de l’année sur leurs « dépenses » de CO².

Pouvez-vous nous donner quelques conseils pour qu’une collectivité pour entamer des démarches, solutions, outils numériques dans sa collectivité ?

Chaque collectivité suit son propre chemin, en fonction de ses caractéristiques, de son Histoire et de son environnement. Mais nous faisons tous face aux mêmes enjeux : la révolution urbaine, avec une augmentation continue de la population, la révolution numérique qui ouvre des perspectives inédites dans tous les domaines (démocratie, transport, énergie, habitat, sécurité) et le défi climatique qui impose aux villes une autre mutation. Le numérique peut nous aider à les surmonter.

Enfin, ce magazine étant destiné aux décideurs politiques de France, auriez-vous un message à adresser ?

Ne pas avoir peur des changements, impliquer la population en l’informant et l’associant aux projets, et avancer avec pragmatisme. C’est cela qui nous a permis d’innover et de proposer toujours plus de services aux habitants, tout en renforçant notre attractivité économique.

L’exemple d’Issy-les-Moulineaux confirme la corrélation qui existe entre développement économique et développement numérique. Plus nous investirons dans le numérique, plus nous améliorerons notre capacité à répondre efficacement aux attentes des habitants et à développer une économie locale performante et génératrice d’emplois.  Et plus nous partagerons nos expériences, au-delà des frontières administratives, et plus nous irons vite.

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