« Je défends l’idée d’une smart city humaine »

« Je défends l’idée d’une smart city humaine »

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Le numérique va faciliter et fluidifier les déplacements en ville. Cet engagement n’est-il pas déjà en soi un projet de société ?

Effectivement, chacun perçoit bien que nous sommes arrivés à la fin d’un cycle historique. Nous avons organisé nos villes autour de la voiture pendant un siècle mais les contraintes d’espaces, de santé publique et de lutte contre le réchauffement climatique nous incitent à rechercher de nouvelles solutions de déplacement, mieux adaptées à la Ville de demain. De nouveaux modes de déplacement se généralisent (vélos, voitures et scooters électriques en libre-service), mais nous assistons à un foisonnement incroyable de nouvelles idées pour nous déplacer différemment à l’avenir.

Pourquoi la ville d’Issy-les-Moulineaux est-elle aussi moteur sur ces thématiques ?

La Ville d’Issy-les-Moulineaux a l’innovation dans son ADN. Mais, pour bâtir une ville « smart », il faut un terreau favorable : nous avons démarré il y a plus de vingt ans ! Nous étions bien peu nombreux à l’époque à nous intéresser à ce phénomène émergent, et personne ne se doutait de l’incroyable bouleversement que nous vivions alors.

Nous avons lancé notre site Internet municipal en 1996 et en même temps, depuis le milieu des années 1990, de nombreux services innovants à destination des habitants ont été mis en œuvre. Des plus petits aux plus âgés, les habitants d’Issy peuvent accéder à une large palette de services numériques : paiement de la restauration scolaire par Internet, gestion dématérialisée des activés périscolaires, prêt de livres électroniques dans les Médiathèques, inscriptions en ligne sur les listes électorales… la technologie s’est mise au service des Isséens.

Aujourd’hui, dans un monde de plus en plus urbanisé, innover est une nécessité pour répondre aux défis urbains et climatiques ! Innover, c’est aussi un état d’esprit. Pour faire la ville de demain, il faut des « smart mayor » et des acteurs publics qui osent.

Quelle vision pragmatique de la smart City défendez-vous et quelles convictions la portent ?

Je défends l’idée d’une smart city humaine, au service des habitants. Je préfère d’ailleurs le terme de « ville collaborative » à celui de « smart city » qui peut sonner comme une ville dirigée par des algorithmes et des ordinateurs. Je souhaite promouvoir une collectivité qui implique l’ensemble de ses acteurs publics et privés dans la recherche de solutions urbaines plus efficaces. Notre approche se veut avant tout humaine et non « techniciste ».

Au-delà des techniques de gestion de l’espace et des services publics (parkings, eau, transport), la ville collaborative devrait favoriser les interactions entre la commune, ses infrastructures et ses citadins devenus eux-mêmes des émetteurs de flux d’informations grâces aux technologies mobiles.

Lorsqu’on pense smart city, ne faut-il pas réfléchir à l’échelle du territoire davantage qu’à celle de la ville ?

En effet, la question mérite un débat : la commune est-elle le bon échelon pour construire une smart city ? Mais, à Issy-les-Moulineaux, notre démarche se veut pragmatique. En innovant et en expérimentant, nous cherchons à démontrer que de nouvelles solutions existent. Après, ce sont les autorités compétentes en matière de transport qui doivent nous aider à passer à l’échelle. Réduire la congestion des transports dans nos villes est l’un des principales priorités des élus locaux depuis plusieurs années. Les pouvoirs publics ont massivement investi dans les transports en commun, comme l’illustrent encore les efforts consentis pour construire le Grand Paris Express. Mais il faut aller plus loin encore car l’augmentation des déplacements en milieu urbain n’est pas absorbée par ces nouvelles liaisons en transports en commun.

Quelles applications de mobilité intelligente testez-vous à Issy-les-Moulineaux ? Qu’en attendez-vous très concrètement ?

Il apparait aujourd’hui nécessaire de développer des stratégies qui mobilisent d’autres éléments que les seules infrastructures de transport. Il convient d’expérimenter des approches innovantes guidées par les usages grâce à l’ouverture des données. La collectivité a un rôle à jouer en accompagnant les expérimentations. Avec So Mobility par exemple, les données de disponibilités en temps réel de plus de 300 places de stationnement d’Issy-les-Moulineaux sont mises à la disposition des applications GPS et d’itinéraires via la plateforme data.issy.com. La collecte de données combinées voirie/souterrain et leur ouverture en open data est une première.

Parallèlement, nous testons le « park sharing », c’est-à-dire le partage de places de parkings entre bâtiments privés ou publics, les capteurs pour mesurer en temps réel le trafic automobile, ou encore le covoiturage 2.0 avec plusieurs start-up. Au printemps dernier, nous avions testé une navette sans chauffeur dans le parc de l’Ile Saint-Germain, avec Transdev. C’était la première fois qu’une navette autonome circulait au milieu des promeneurs, des chiens et des cyclistes en conditions réelles. Plus de 2600 Isséens avaient participé à ce test dont les conclusions ont été largement positives.

Qui sont vos partenaires sur ces projets ?

Nous collaborons de manière générale avec tous ceux qui souhaitent nous accompagner dans notre stratégie. Nous avons lancé en octobre 2015 un consortium baptisé So Mobility avec Bouygues Immobilier, Cisco, Colas, Transdev et la Caisse des Dépôts. L’objectif est d’agir ensemble pour apporter des solutions concrètes et durables aux déplacements en ville, qui pourront ensuite être déployées à l’échelle régionale puis nationale. La troisième saison de So Mobility a été lancée en septembre dernier et rencontre un vrai succès avec le big data comme grande thématique.

La ville d’Issy-les-Moulineaux et Cap Digital ont ainsi lancé un challenge pour analyser les flux de mobilités pour comprendre les flux de personnes sur un territoire, un dispositif d’open innovation soutenu financièrement par l’État. Et nous venons de démarrer un projet européen, Polivisu, sur cette thématique. Il s’agit de développer et de tester des outils de visualisation en temps réel des flux de déplacements à partir de plusieurs sources et types de données.

La mobilité intelligente est-elle résolument aujourd’hui à considérer comme l’un des éléments de la qualité de vie en ville ? Est-elle forcément liée à l’économie du partage ? A l’innovation frugale ?

Nous voyons bien qu’une nouvelle forme d’économie plus horizontale apparait entre des consommateurs plus économes en biens et en ressources naturelles pour un service au moins équivalent. J’ai rencontré il y a quelques années à Issy-les-Moulineaux Navi Radjou, l’un des théoriciens de l’innovation frugale. Il a rappelé que la baisse de 30% des achats de voitures par les moins de 35 ans aux États-Unis, depuis 2007, s’inscrivait dans cette tendance.

Une chose est sûre, le numérique peut nous permettre de bâtir une société édifiée sur la dynamique des communautés collaboratives et de l’inter-créativité !

Cela implique évidemment une évolution des mentalités, y compris de la part des décideurs qui comprennent intuitivement que ce n’est plus la collectivité qui fait la Ville, mais qu’ils doivent mettre en place les conditions pour faire la ville avec la contribution d’acteurs multiples, des citoyens aux acteurs économiques.

 

Journal du Parlement 75 – avril 2018

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