[Humour] Billet d’humeur : « La chute d’Icare »

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Uchronie en marche

Billet d’humeur publié dans Dialogues : « La chute d’Icare »

 

Voilà le récit d’une bien triste mésaventure, comme il en arrive aux gens trop ambitieux et inconstants. Vous seriez tentés d’avoir de la sympathie pour les protagonistes de cette histoire, au premier abord attachants, plein de bonhommie, à la belle allure et au bagout intarissable. Mais dans la vie de la cité comme au théâtre, la tartufferie des apparences et des beaux discours éclate au dénouement.

En l’an I du règne de Minos – nouvelle ère, nouveau monde – le royaume était en pleine agitation. C’est que le nouveau roi élu avait lancé des réformes en tous sens, créant un désordre certain. Il faut avouer aussi que la Crète avait la réputation d’être irréformable… Le roi Minos, même s’il se prenait parfois pour Jupiter, restait encore apprécié par la population, qui mettait à son crédit la sagesse et le dynamisme.

Plus critiquables et critiqués étaient ses exécutants ainsi que tous ceux qui se valorisaient en tirant avantage de son règne. Les citoyens avaient d’abord plébiscité ces troupes nouvelles, supposant qu’elles auraient les qualités de leur chef. Mais l’heure était maintenant au désenchantement.

C’est que les minotaures d’autrefois n’avaient pas disparu, il se put même qu’ils gagnassent inexorablement en influence. À la faveur de ces changements de visages et de costumes qui font ressembler le bœuf à un agneau, hauts fonctionnaires, courtisans et opportunistes de tous poils tiraient avantage du régime et s’activaient dans les coulisses du pouvoir.

Parmi eux, Dédale, à l’esprit labyrinthique, et Icare, jeune favori de la cour. Dédale n’était pas dénué d’ingéniosité. En disgrâce auprès du précédent roi et sentant venir le basculement de régime, il s’était habilement rallié. Récompensé en conséquence en obtenant le commandement des troupes, il s’efforçait de s’entourer de jeunes loups, dont Icare, plein de la fureur des nouveaux convertis.

Tardivement mais opportunément, Icare s’était en effet découvert une filiation avec Dédale et Minos. Qu’importaient ses actions passées et la constance des convictions, l’occasion était trop belle d’entrer dans la lumière. Comme la chenille devient papillon, le socialiste utopique façon Cabet se transforma en ultra-libéral façon Bastiat. La nature est pleine de miracles.

 

 

Dès lors, où ne vit-on pas Icare ? Il se montrait ici, il se montrait là, se poussant du col, s’érigeant en héraut de la jeunesse travailleuse et en archétype de ce meilleur des mondes possibles qu’il croyait avoir contribué à fonder. Qu’importaient tous ces fâcheux qui voulaient lui démontrer que la situation n’était pas meilleure, qu’en dehors des salons dorés et dans la réalité du quotidien, les difficultés et le désarroi n’avaient pas disparu. L’essentiel était pour lui de continuer à s’élever toujours plus haut, toujours plus près du soleil. Quitte à vouloir l’égaler ? À briller autant que lui ?

Les problèmes des petites gens, le travail accompli et à accomplir, tout cela devenait vraiment vulgaire pour lui, considérant que se montrer et babiller devait bien suffire à les contenter. Il n’est pas utile de s’épancher davantage sur les vaines péripéties de ce personnage, sur l’accumulation de ses inévitables revers et la désillusion profonde des citoyens amers de découvrir cette tartufferie égotiste.

Que croyez-vous qu’il arriva finalement ? Icare brilla, Icare monta, jusqu’à s’éblouir lui-même à défaut d’éblouir quelque autre, jusqu’à se consumer dans cette ivresse du pouvoir qui distingue les comédiens ambitieux des vrais serviteurs du bien public. Triste destin du papillon qui veut embrasser l’ampoule…

 


 

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