Le jeudi 3 décembre dernier, André SANTINI a participé, en qualité de « Grand témoin », au colloque « Rire, Droit et Société » organisé par l’Université Toulouse-I Capitole. A cette occasion, l’ancien Ministre a décortiqué le rire, ses implications, ses limites et, disons-le, ses inestimables et incommensurables vertus, dans une période de tristesse, entachée du sang de centaines de citoyens innocents.
Il y a en politique un rapport au rire compliqué qui vient non pas de la population – les gens sont toujours ravis d’entendre leurs hommes politiques se décoincer un peu et montrer qu’ils sont comme eux – mais du personnel politique lui-même qui conserve cette idée fausse que celui qui fait de l’humour n’est pas un individu sérieux et fiable.
Au cours de ma carrière, je peux dire avec lucidité que cela m’a porté préjudice et certainement coûté un portefeuille ministériel sous le gouvernement JUPPÉ. En fait, j’ai été Ministre deux nuits ! Jusqu’au moment où on déclare le Gouvernement sur les marches de l’Élysée. Voilà pourquoi je ne me suis pas privé, durant cette période, de le gratifier de plusieurs tacles bien sentis.
Par exemple : « Avant ce gouvernement allait dans le mur, maintenant il klaxonne », « A force de descendre dans les sondages, il va finir par trouver du pétrole », « On atteint le fond de la piscine, maintenant il va creuser », et enfin « Le Premier Ministre voulait un gouvernement ramassé, il n’est pas loin de l’avoir ! ».
D’ailleurs JUPPÉ m’a dit « mais pourquoi tu m’en veux ? ». « Mais comment ? Tu ne te rappelles pas que tu m’avais fait dire que j’allais être Ministre et j’ai rien vu. » J’ai été viré avant les Jupettes, c’est quand même intéressant. Alors, en gros, il m’a expliqué « avec ton humour… », il craignait, lui qui est droit dans ses bottes, que je lui fasse un peu de concurrence dans les médias.
Le rire est aussi une arme, un bouclier. Pour citer MELVILLE : on ne peut pas atteindre celui qui rit, s’il prend tout à la rigolade c’est un génie du relativisme absolu.
Le rire est aussi une réaction personnelle, instinctive, incontrôlable. Poussons la chose à l’extrême : celui qui rit à gorge déployée sans s’arrêter, et parfois sans motif, est alors un fou pour qui la réalité n’a plus de consistance. Pour ma part, j’ose croire que produire du rire et de l’humour nécessite une certaine dose d’intelligence, une certaine subtilité d’esprit. D’ailleurs, en politique, on assimile souvent l’humour et le trait d’esprit, la répartie.
Le Prix de l’Humour politique, remis chaque année, recense ces petites perfidies entre amis, généralement décochées au détour d’une interview.
J’en suis désormais exclu à vie, pour avoir déjà obtenu ce Prix à trois reprises ! La loi c’est une fois. Et pourtant mes boutades ne sont pas méchantes… C’est vrai qu’on m’a fait maintenant parrain du Grand Prix de l’Humour, ça c’est très corse. En Corse, il y a plus de parrains que de témoins, c’est pour ça qu’il y a plus de baptêmes que de mariages.
J’ai par exemple été récompensé pour avoir dit dans les années 1980, à propos du Ministre de la Justice de l’époque : « Saint-Louis rendait la Justice sous un chêne, Arpaillange la rend comme un gland ! ». Cette amabilité a tout de même permis à ce sympathique personnage de passer à la postérité car, sinon, qui s’en souviendrait…
L’humour a une fonction de combat, de mise en valeur ou d’anéantissement au sein de la classe politique. Néanmoins, il faut aller au-delà. L’humour, j’en suis convaincu, a intrinsèquement une éminente fonction politique. Quelle meilleure preuve de souveraineté, d’indépendance, que de moquer les puissants, de les ridiculiser ? […] Être en capacité de fustiger par le rire ceux qui détiennent l’autorité, c’est la plus élémentaire marque d’indépendance d’esprit, d’insoumission, voire de résistance. C’est bien une marque d’intelligence car celui qui se rit des puissants a forcément conscience de leurs forces et leurs faiblesses.
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