Vous trouverez ci-dessous le texte de l’interview qu’André Santini, Député-Maire d’Issy-les-Moulineaux et Vice-Président de la Métropole du Grand Paris, a accordé à Vincent Pilloy (Inov360) pour la Revue Telecom ParisTech de juillet 2016.
Quelle est votre vision de l’évolution de la mobilité sur un territoire comme Issy-les-Moulineaux et plus largement pour le Grand Paris, dans les années qui viennent ?
La question des déplacements se pose de la même manière dans toutes les métropoles. Comment gérer une densification urbaine croissante tout en fluidifiant les déplacements, d’abord pour réduire la pollution atmosphérique qui étouffent nos villes mais aussi pour faciliter la vie quotidienne des millions de citadins qui se rendent chaque matin au bureau et rentrent chaque soir à la maison dans des conditions non satisfaisantes ? Issy-les-Moulineaux fait partie d’une métropole qui n’est pas la plus embouteillée d’Europe. Les londoniens passent deux fois plus de temps dans les bouchons que les parisiens et les habitants de Bruxelles ou Anvers, en Belgique, sont encore moins bien lotis que nous. Mais Paris a la particularité, compte tenu de sa topographie, d’être sensible aux particules fines. Je trouve désespérant qu’un bulletin météo ensoleillé soit quasi systématiquement accompagné d’une alerte à la pollution atmosphérique sur la région parisienne.
Quand on parle de mobilité, quels sont les enjeux majeurs pour la ville d’Issy-les-Moulineaux et pour ses habitants ?
Nous sommes dans une situation favorable : le nouveau réseau de métro automatique, Grand Paris Express, va sensiblement soulager les lignes saturées et les routes encombrées de la région parisienne. Avec ses 200 kilomètres de nouvelles lignes et ses 68 nouvelles gares, il s’agit du projet d’aménagement le plus important d’Europe et, pour les habitants, d’un projet aussi structurant que le furent la construction du métro parisien au début du 20ème siècle ou du RER dans les années 60-70. Ce projet va considérablement améliorer la vie quotidienne de millions de franciliens et il faut en être fier. Mais d’ici la fin des travaux, à horizon 2030, il faudra exploiter le dynamisme de l’économie collaborative et des projets liés à la Smart City pour modifier les comportements des franciliens.
Comment peut-on définir les nouvelles mobilités urbaines ? Quel rôle et quelle importance ont-elles pour répondre au défi de demain ?
Ce qui caractérise la situation aujourd’hui est l’hyper personnalisation des services que permet le numérique. Avec son smartphone, il est facile de partager sa voiture, de trouver l’itinéraire le plus efficace ou d’éviter les bouchons. C’est une tendance forte sur laquelle surfent les nombreuses start-up qui se créent. Il faut du temps pour que les mentalités évoluent, mais je crois, par exemple, au développement du co-voiturage en milieu urbain, dès lors que le service sera simple et efficace et le marché stabilisé. La start-up Padam vient ainsi d’ouvrir, à partir d’Issy et de Boulogne, une ligne privée de navettes en direction de la Défense et des communes environnantes. Ce sont des minibus de 6-8 places, confortables et connectés, qui répondent aux besoins spécifiques de leurs clients et c’est une initiative intéressante à suivre. Il faut aussi anticiper, y compris dans nos infrastructures, le développement des véhicules électriques et l’arrivée des véhicules autonomes.
Face à la multiplicité des acteurs concernés, quel est le rôle de la ville pour déclencher et réussir cette évolution ? En complément, comment le secteur privé et les entreprises peuvent-ils / doivent-ils être impliqués dans cette transformation ?
Les pouvoirs publics, et notamment les collectivités locales, ont beaucoup investi dans les infrastructures de transport en commun au cours des vingt dernières années, notamment dans les tramways qui ont fait leur retour en Ville après en avoir totalement disparu. Un projet comme le Grand Paris Express représente un investissement public de plus de 25 milliards d’euros, ce qui constitue un effort remarquable dans le contexte de la crise des finances publiques. Les communes du Grand Paris ont été parmi les premières au monde à adopter des dispositifs innovants comme Vélib et Autolib. A Issy-les-Moulineaux, nous avons expérimenté puis généralisé le paiement du stationnement par téléphone mobile en 2009 et la visualisation du trajet des bus urbains sur smartphone en 2015. L’an passé, nous avons testé une solution de recherche de place de parking par téléphone et le partage de parkings administratifs via l’application BePark. Nous ne ménageons donc pas nos efforts pour démontrer qu’il existe de nouvelles solutions.
Il faut aller plus loin en associant les usagers dans l’expression des besoins et les entreprises dans la définition de nouveaux services. La Smart City est aussi synonyme de ville collaborative qui se construit dans une logique de coopération nouvelle avec les acteurs du territoire, grandes entreprises, start-up, grandes écoles, pôles de compétitivité, etc… C’est ce que nous avons fait en lançant le projet So Mobility, financé par un consortium constitué de la Ville, de la Caisse des Dépôts et d’entreprises directement concernées car présentes sur notre territoire (Cisco, Bouygues Immobilier, Colas, Engie Ineo, Transdev) et ouvert sur un écosystème d’une quarantaine d’acteurs publics et privés qui réfléchissent avec nous aux nouvelles solutions destinées à fluidifier les déplacements en milieu urbain.
La complexité de gouvernance est-elle devenue un obstacle pour engager des initiatives cohérentes et globales, sur le sujet de la mobilité qui dépasse largement les limites administratives ?
C’est complexe, en effet, mais j’ai toujours pensé qu’on pouvait contourner les obstacles en innovant. Pas seulement techniquement, mais aussi dans nos méthodes. Avec le projet So Mobility, je n’ai pas la prétention de penser que la seule ville d’Issy-les-Moulineaux va résoudre les problèmes de transport et de circulation de l’agglomération parisienne. Mais si nous parvenons à susciter l’intérêt de tous les acteurs concernés, en commençant par la Région dont c’est l’une des principales compétences, nous ferons avancer les choses. Rencontrons-nous, discutons, expérimentons, démontrons et favorisons toutes les nouvelles formes de mobilité et je suis certain que nous aurons des résultats tangibles en peu de temps. Ce qui nous manque, ce n’est pas l’imagination mais la conviction que nous pouvons vraiment changer les choses si nous nous y mettons tous ensemble.
En ce qui concerne l’échelle de « temps », comment faites-vous pour coordonner d’une part des projets d’infrastructures lourds comme le Grand Paris Express qui s’engagent sur une à deux décennies, et d’autre part la modification très rapide des usages à travers l’adoption de nouveaux services via applications mobiles en quelques mois ?
En favorisant l’économie collaborative et les projets liés à la Smart City. Nous n’aurons de toute façon pas le choix. Les travaux de construction des nouvelles lignes du Grand Paris Express vont avoir un impact certain sur la circulation de l’agglomération parisienne au cours des quinze prochaines années. Faisons confiance à la capacité d’adaptation du public et à l’imagination des start-up pour voir apparaitre des solutions qu’il nous faudra accompagner. On parle beaucoup de déplacement, par exemple, mais n’allons-nous pas au contraire assister à l’explosion du télétravail partiel à domicile ou dans des tiers lieux conçus spécialement, comme celui que Bouygues Immobilier a ouvert à Issy-les-Moulineaux, Nextdoor ?
On parle beaucoup de véhicules autonomes en ce moment. Pensez-vous que des véhicules 100% autonomes seront significativement présents sur le territoire d’Issy-les-Moulineaux, dans les prochaines années ?
On verra probablement des navettes autonomes dans nos rues avant les voitures individuelles, qui seront plus à leur aise sur l’autoroute, mais la tendance va à une plus grande autonomie des véhicules. Il est encore trop tôt pour savoir si les voitures seront totalement automatiques à court terme ou s’il s’agira d’une étape supplémentaire dans la conduite assistée, mais il faut se tenir prêt.
Selon vous, en quoi la mobilité à Issy-les-Moulineaux sera le plus profondément modifiée, d’ici 10 à 15 ans ?
Je me méfie des prédictions. Cela me rappelle que les experts font de l’erreur de pronostic leur première spécialité. Ce que j’espère pour le futur, c’est que les technologies numériques auront permis d’améliorer nos déplacements, en nous faisant perdre moins de temps et en vivant dans un air plus sain. Le rapide développement des objets connectés, que ce soient les capteurs installés sur les feux de signalisation ou les appareils que nous avons sur nous, devrait nous y aider. Les villes se sont adaptées, au cours du 20ème siècle, aux voitures et nous sommes peut être à l’aube d’un profond bouleversement dans ce domaine. Certains, comme Jérémy Rifkins, pensent même que nous ne serons plus propriétaire de nos véhicules. C’est dire l’ampleur de la révolution qui nous attend.
En regardant dans le rétroviseur, quelles ont été les plus grandes transformations dans la mobilité des Isséens, ces 10 à 15 dernières années ?
L’adoption rapide du tramway T2, qu’on me présentait pratiquement comme une lubie, a permis aux habitants d’Issy-les-Moulineaux de relier la Défense en une vingtaine de minutes. C’est aujourd’hui une ligne extrêmement fréquentée car elle permet aussi aux salariés du quartier Val de Seine de rejoindre facilement leur bureau. Les Isséens ont toujours adopté très vite les innovations qu’on leur proposait. C’était vrai avec le Vélib’, ça l’est encore avec Autolib’ pour qui nous enregistrons l’un des meilleurs ratios d’utilisation par habitant. Je suis donc confiant dans leur capacité à s’adapter aux nouvelles mobilités de demain.
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